Je vais essayer d'expliquer avec cet article pourquoi, selon moi, la bande-annonce "Rise" d'Assassin's Creed III est très intéressante.
Le jeune volontaire : « quand je sacrifie ma jeunesse, pour défendre ce qui nous appartient ».
La guerre d'indépendance américaine et la Révolution française ont en commun le volontariat de jeunes pour porter les armes. La conscription n'existant pas, ceux qui se manifestent le font, selon les archives, par conviction, nous le montrerons plus loin. Cependant cela peut paraître à la jeunesse d'aujourd'hui surprenant, mais les deux guerres mondiales et leurs armes toujours plus meurtières, biaisent cette vision. La bande-annonce de l'E3 montre bien comment sont menées les guerres du XVIIIe : par colonnes puis par lignées. La densité des armes à feu est alors indispensable et les lignes de troupes se succèdent le temps de recharger les fusils. A ce propos, savez-vous que le rangement du drapeau américain est très codifié ? Lorsque l'on plie le Star and Stripes, l'aspect final doit en effet prendre la forme d'un triangle isocèle, référence directe aux tricornes que portaient les hommes du XVIIIe siècle. Sur la vidéo, l'aspect est plus que flagrant. Sachez enfin qu'il est ainsi très courant aux États-Unis de trouver chez des soldats, des boîtiers pour accueillir le drapeau.
Le député : « quand je m'oppose à une loi, que nous n'avons pas voté ».
Le manouvrier : « quand je cesse de nourrir un empire qui n'est pas le mien ».
La séquence du député est très importante. Vous noterez des apostrophes et altercations verbales, des papiers jetés en l'air et en arrière-plan l'arrachage de l'Union Flag par des colons. Le représentant regrette que lui et ses collègues n'aient été consulté. En effet, le Royaume-Uni, en adoptant la loi de l'exclusif et la pensée mercantiliste, prend l'initiative d'accentuer son contrôle sur ses comptoirs et colonies, les autorisant seulement à produire des matières premières et à faire du commerce uniquement avec elle. Ce protectionnisme n'est pas un cas isolé et se retrouve également chez Colbert, ministre de Louis XIV avec la Nouvelle-France et les Antilles. Cette nouvelle réglementation amène fatalement à des tensions croissantes entre les colons et les métropolitains (la séquence avec le manouvrier le prouve) car elle entrave le principe de liberté et ne garantie plus les échanges entre colonies et avec d'autres pays. Le Tea Act, voté en mai 1773, fait suite à une série de lois touchant les colonies. Il autorise la Compagnie anglaise des Indes orientales à vendre son thé aux colonies sans s'acquitter de taxes. La réaction ne se fait pas attendre et la fin de l'année voit se tenir à Boston, déjà sous tension, la célèbre Tea Party. Si une part d'autonomie est admise, certaines colonies tombent sous domination de la couronne et des gouverneurs sont nommés. Le laisser-faire du début du XVIIIe est donc remis en cause et c'est justement cette reprise en main, cette tutelle, qui échaude certains, acceptant mal que des métropolitains qui, pour beaucoup, n'ont jamais mis les pieds en Amérique décident de leur sort, surtout sans les consulter. Il convient aussi de ne pas négliger l'importance de la proclamation de 1763, réorganisant la Nouvelle-France, cédée par la France au Royaume-Uni suite à la guerre de Sept ans et visant à modifier l'identité de ce territoire et de ses habitants. L'idée de Georges III est d'assimiler la population française, de renforcer encore plus les forts et comptoirs au sud ; sud-ouest des grands lacs pour pratiquer le commerce avec les nations amérindiennes et de protéger ces dernières. Or si les treize colonies sont satisfaites de la victoire britannique sur les français, ils estiment, la sécurité étant désormais garantie, n'avoir plus besoin de la présence en masse de troupes anglaises et le droit de profiter des nouvelles terres acquises à l'ouest. Ajoutons à cela l'augmentation de la pression fiscale de la part de la couronne britannique et la grogne n'en finit pas de monter vis-à-vis de la métropole.
L'écolier : « quand je refuse d'apprendre l'Histoire d'un pays, que je ne verrai jamais ».
Pendant ce temps, l'identité des colons connaît une évolution certaine. Si au XVIe siècle les premiers arrivants, qu'ils soient français, anglais, espagnols ou hollandais, étaient tous nés et issus de leurs pays respectifs, au XVIIIe siècle, la grande majorité des colons sont nés au sein des colonies. Dès lors, un anglais de Bridgeport ou un français de Tadoussac, possède certes la nationalité de son pays, mais ne la jamais vu, sauf exceptions. Cette situation crée alors un conflit entre « américains » et « continentaux ». Prenons l'exemple d'un français établi en Nouvelle-France ou aux Antilles. Appelons-le François Dupré. Lorsque celui-ci venait en métropole, il était le plus souvent surnommé « François Dupré, américain ». Cette distinction crée un malaise et une sorte d'incompréhension entre les métropolitains et les colons. Ainsi, les propos de l'écolier ne voulant plus apprendre l'Histoire « d'un pays, qu['il] ne verra jamais », prennent tout leur sens. Pour lui, à quoi bon connaître le passé d'un territoire, qui est pourtant le sien, mais qu'il ne connaît que par récits ? Surtout lorsque celui-ci ne vous voit que comme une dépendance et une manne. Une identité américaine, tout comme canadienne (avant 1763, puis renforcée après) ou espagnole d'Amérique, se forme, avec ses règles, ses coutumes, ses pensées, ses histoires. La pression qu'exerce le Royaume-Uni sur les colonies ne fait que renforcer l'érection de cette identité et l'éveil d'un patriotisme local. Ceci expliquant l'engagement de certains jeunes.
Le condamné : « quand je leur abandonne mon corps mais pas mon esprit ».
L'ecclésiastique : « quand je demande à Dieu, de détourner son regard ».
La mère de famille : « quand je décide que ce sera eux et pas nous ».
Les actes de désobéissances se multipliant, la "guerre d'indépendance" éclate alors. Les arrestations et les mutilations sont nombreuses de la part des anglais et le marquage au fer est employé comme punition pour le coupable, puis comme avertissement pour la population. Le condamné dit ici qu'il abandonne son corps, qu'il accepte d'être mutilé. Mais il explique aussi que cette marque n'empêchera nullement son idéal de disparaître à cause cette brulûre. Ne pas rompre façe aux difficultés, tel est le message qui est véhiculé. Le clergé est également mis à contribution. Qui soupçonnerait le tranquille pasteur ? Rappelons au passage que les hommes d'Eglise sont importants et qu'il serait inopportun de venir leur chercher des ennuis. Cependant, les religions chrétiennes encouragent l'amour de leur prochain à leurs fidèles. Cacher des armes, faire parti, même indirectement, d'un réseau de combattants va à l'encontre de ce précepte. C'est pourquoi l'ecclésiastique demande à Dieu de détourner son regard, de pardonner la contradiction ponctuelle entre sa foi et ses idéaux. La dernière séquence de la vidéo est très intéressante car les propos de la mère de famille sont lourds de sens : « quand je décide que ce sera eux et pas nous ». C'est un trait que l'on retrouve beaucoup au XVIIIe siècle et plus encore durant les deux révolutions, celui de vouloir œuvrer pour les générations futures. Les insurgés et les "patriotes" français savent qu'il ne profiteront pas eux-même des bienfaits de la Liberté, du bonheur, des institutions qu'ils érigent. Le sacrifice de soi et de son bonheur personnel pour ses idées et les générations prochaines est alors en vogue.
La soulèvement est le thème central de cette bande-annonce. A ce titre, la citation de la vidéo de l'E3, prétée à Lafayette (dont nous savons tous l'implication durant la guerre d'indépendance) est intéressante pour le contexte. L'objectif de cette vidéo n'est pas cette fois de nous en mettre plein la vue avec une débauche d'effets spéciaux. Alors que la vidéo diffusée à l'E3 misait sur un Connor Kenway quasiment surhumain (le nom du groupe qui a composé la musique au passage), Rise met en valeur « M. tout-le-monde », le fait que des actions de rébellion et de résistance, puissent être initiées autant par un écolier que par un volontaire. Chaque colon, avec ses moyens, peut participer, ou non, le cas des loyalistes et de leur sort n'a d'ailleurs jusqu'à présent pas été abordé par Ubisoft, au soulèvement face à la métropole. Connor Kenway, se matérialise cette fois en l'espoir de toutes ces composantes des treize colonies. L'Histoire et la fiction se mélange alors de nouveau.